Pour que compensation carbone ne rime pas avec greenwashing

Publié le par Thibault Liebenguth .


C’est devenu la nouvelle antienne écolo. Mais n’est-ce qu’un alibi pour ne rien changer à ses habitudes ? Est-ce vraiment efficace ? Un point sur les pratiques et leurs effets (ou méfaits)

  

Il y a un mois, à Davos, alors qu’on n’avait jamais vu autant de jets privés se poser sur le tarmac suisse, tout le monde parlait de compenser ses déplacements, Donald Trump en tête. Le président américain promit alors de rejoindre l’initiative « mille milliards d’arbres » lancée par les organisateurs du Forum économique mondial. Les arbres, c’est en effet ce qui marche le mieux pour la communication. C’est concret, tout le monde ne peut qu’acquiescer. Les compagnies aériennes et les principales compagnies pétrolières n’ont d’ailleurs pas hésité à axer leur communication verte sur des actions de reforestation.

Juliette Nouel, une journaliste spécialisée dans les questions environnementales, rappelait d’emblée suite à l’annonce de Trump qu’il n’est pas possible de passer directement à la case « compenser », sans d’abord réduire ses émissions : « la compensation est en effet réservée aux émissions incompressibles ». Sans compter que planter des arbres n’est pas la seule façon de compenser ses émissions, ni la plus efficace. Assiste-t-on donc à un treewashing ? Y a-t-il une manière de bien compenser ses émissions ? Est-ce vraiment la priorité ?

De quoi parle-t-on ?

La compensation carbone consiste, pour les entreprises, à financer des projets de réduction ou de séquestration de CO2hors de leur périmètre d’activité. Planter une forêt ou installer des éoliennes, par exemple. Cette compensation dite « volontaire » se fait via l’acquisition de « crédits carbone » ; un crédit correspondant à une tonne équivalent de CO2 séquestrée ou évitée. Mais il y a des écueils.

La compensation forestière est particulièrement sujette à caution. « Elle attire, car c’est un symbole dans l’imaginaire collectif, mais les émissions partent immédiatement dans l’atmosphère, alors que les arbres mettront des dizaines d’années pour les séquestrer. Par ailleurs, la pérennité de ces plantations est soumise à de nombreuses menaces, à commencer par le changement climatique », souligne Jonathan Guyot, président de l’association all4trees, qui souligne aussi l’importance d’éviter la monoculture d’arbres, peu efficace voire dangereuse pour la biodiversité, alors que 45% des promesses internationales de plantations à grande échelle, sont de fait des plantations en monoculture. L’accaparement des terres occupées par les communautés est un autre écueil. Il n’y aura pas assez de terres disponibles pour mener des opérations de reforestation de très grande ampleur. Pour Alain Karsenty, chercheur au CIRAD « ce serait plus intelligent de financer la rénovation thermique des bâtiments, mais cela fait moins rêver ».

Enfin, le prix moyen de vente des « crédits carbone » est trop bas pour avoir un pouvoir transformateur. En 2016, il était en France de 3,37 euros la tonne éq CO2. « Il doit au moins s’élever à 30 euros pour s’assurer d’une compensation de bon niveau. »

Aussi pour avancer, Carbone 4, un cabinet de conseil indépendant spécialisé dans la stratégie bas carbone et l’adaptation au changement climatique, propose une évolution sémantique avec des répercussions très concrètes : il s’agirait de passer la compensation carbone aux oubliettes pour lui préférer la contribution. « Passer de la compensation à la contribution n’est pas qu’une affaire de sémantique. C’est la condition sine qua non de l’assainissement de l’imaginaire autour de la finance carbone volontaire, qui inhibe depuis trop longtemps la nécessaire augmentation des flux financiers à destination des projets bas carbone pour combler le “finance gap” (* Investissements climat manquants par rapport à ceux actuels et prévus.) . »

Toujours selon Carbone 4, la neutralité carbone à l’échelle mondiale (la seule qui ait du sens en termes purement physiques) exige que nos émissions mondiales soient divisées par 3 ou 4 fois en 30 ans, et que dans le même temps, les puits de carbone soient multipliés par 1,5 à 2. Il s’agit donc d’agir sur plusieurs volets à la fois. Il ne suffit pas de compenser par tous les moyens imaginables, il faut véritablement s’interroger sur la croissance des flux.


Il y aurait donc, selon Carbone 4, trois comptabilités séparées à suivre en même temps pour une entreprise :

A) Ses émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble de la chaîne de valeur, qu’elle doit piloter et réduire à des niveaux compatibles avec les trajectoires d’émissions 1,5°C/2°C ;

B) Ses contributions à la réduction des émissions d’autres acteurs, notamment via l’achat de crédits carbone issus de projets de réduction ;

C) Ses contributions au développement des puits de carbone mondiaux, notamment via l’achat de crédits carbone issus de projets de séquestration.

Comme le rappelle une tribune publiée dans Le Monde : « la première bataille, qui consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans la chaîne de valeur de l’entreprise, elle reste la plus importante. Et aucune des victoires remportées sur les deux autres fronts ne saurait venir la « compenser ».
Il s’agit donc bien de changer en profondeur le modèle des entreprises. S’inscrire dans le business as usual, en utilisant quelques mesures pour se donner bonne conscience, est irresponsable.

 

Et en France ?

La France abrite la première forêt d’Europe en volume de bois et n’a jamais été aussi boisée depuis la fin du Moyen-Âge. La reforestation n’est donc pas le problème. Ce qui pose problème et demande aujourd’hui et urgemment que l’on agisse, c’est la malforestation, consécutive notamment à une absence de gestion. Cela se traduit dans beaucoup de massifs par des coupes rases ou par le vieillissement et l’uniformisation des forêts. Il en résulte une perte de biodiversité́ importante et une grande vulnérabilité de ces peuplements au changement climatique.

Notre partenaire Sylv’acctes[1], que nous soutenons via le 1 % pour la planète, explique sa stratégie pour les années à venir : « il est urgent d’agir sur les peuplements forestiers les plus vulnérables où la proportion d’arbres morts ou dépérissant est trop importante. Le programme « Forêts en crise climatique » qui sera lancé prochainement, permettra de renouveler ces peuplements en accompagnant les dynamiques de résiliences naturelles de l’écosystème forestier. Cet accompagnement se traduit par : la sélection d’essences naturellement présentes qui montrent une meilleure capacité d’adaptation au changement climatique ; la dynamisation de la régénération naturelle par une gestion maitrisée de la lumière au sol ; et en dernier recours par la plantation d’essences adaptées dans les zones où la régénération naturelle est absente. »

En France, c’est donc la gestion d’un écosystème complexe axé sur la régénération naturelle et précieux pour la biodiversité qu’il s’agit de soutenir.

Article rédigé par Samuel Dixneuf

Sources :
https://www.lesechos.fr/thema/articles/la-compensation-carbone-sous-le-feu-des-critiques-1151452

https://business.lesechos.fr/directions-generales/gouvernance/rse/0601825081235-neutralite-carbone-mode-d-emploi-331649.php

https://www.linkedin.com/pulse/%C3%A9p02-treewashing-planter-des-arbres-pour-sauver-le-climat-guyot/

https://www.novethic.fr/actualite/energie/energies-fossiles/isr-rse/les-arbres-le-nouvel-argument-responsable-des-petroliers-147575.html

http://www.carbone4.com/neditespluscompensation-de-compensation-a-contribution/

https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/29/neutralite-carbone-il-faut-une-transformation-radicale-des-modeles-economiques-des-entreprises_6021049_3232.html

[1]Depuis 2016, l’association « Sylv’ACCTES, Des forêts pour demain » agit en Auvergne Rhône-Alpes, de manière concrète et efficace pour préserver le patrimoine forestier au cœur des territoires en mobilisant acteurs publiques et privés pour financer des actions forestières vertueuses pour l’environnement et la biodiversité. Reconnue d’intérêt général, l’association, présente sur 11 massifs emblématiques en Auvergne Rhône-Alpes, a mené en 3 ans, plus de 2 000 hectares (soit 20 millions de m2) de travaux forestiers vertueux.